Bouchaïb
aime sa femme, ce n’est pas au goût du jour, il pourrait en aimer une
autre, c’est si simple mais lui continue de l’aimer et
elle, en retour, l’aime aussi. Calmes et doux, ils s’aiment en
silence, le couple parfait selon l’imaginaire de Khaïr-Eddine.
Une vie lente, au cœur des montagnes de granit, peut-être celles de Tafraout.
Une vie
simple, cadencée par les seuls appels à la prière se heurtant aux
roches abruptes. C’est l’art de vivre avec rien. Un rien qui
fait le tout, pendant que passe l’orage colonial, une attente
adoucie par l’hyperbole de l’amour et de la foi.
À vrai
dire, rien ne nous distrait du souffle profond de cet homme que l’excès
de sagesse recroqueville sur les pages blanches,
noircies peu à peu de vers mélancoliques. Allongé à même le sol,
sirotant un thé noyé de menthe fraîche, humant le souffle nouveau d’un
vent occidentalisé. Le goût du « progrès », s’infiltrant
jusqu’aux ruines-bidons-villes venu perturber les âmes tranquilles,
changer les habitudes, modifier les valeurs dépasse le goût du pain et
des succulents tajines.
Car ce couple, qui persiste et résiste à une époque déboussolée, et continue d’obéir à une force invisible qui règle au gré de son rythme leur banale existence, ne résistera pas longtemps.
Khair-Eddine
est resté jusqu’à son dernier livre l’un des observateurs les plus
perspicaces de notre modernité. Il la tient sous sa
plume de romancier, de poète, examinant ses vices et effets pervers
sur la nature humaine ; « si on n’y prend pas garde, le progrès de la
science imposera un nouveau mode de vie où les repères
actuels seront caducs ».
Khaïr-Eddine
c’est aussi le vieux Bouchaïb, un fin lettré, un symbole, une idole
vénérée. À mi-mots, une fin de vie espérée par tout
exilé ; un retour sur la terre natale, respirer l’air qui a embaumé
toute une enfance, oublier les chairs, libérer son esprit dans les
hauteurs du Grand Sud.
Ce
roman d’un silence remarquable est une conjuration émouvante du corps
vivant, matérialisé par l’intelligence vive du féminin, de
l’art poétique, calligraphique et clamé dans la langue de
l’apaisement, langue qui sait transcender le tourment de
l’amour-passion. Un roman inachevé pour une vie inachevée. Mais dans nos
mémoires, Khaïr-Eddine, l’existentialiste, continue d’exister.
« Une des voix les plus fortes et les plus originales du Maghreb s’est tue » écrivait Tahar Benjelloun dans un article du journal Le Monde suite à la disparition de Mohamed Khaïr-Eddine, survenue le 18 novembre 1995, alors que les rues marocaines fêtaient une indépendance incertaine. Pas une minute de silence pour le talent d’écriture et de dénonciation de Khaïr-Eddine, inconnu et censuré jusqu’alors. Presque quinze ans ont passé déjà et trop rares sont les bibliothèques publiques au Maroc qui proposent dans leur fonds l’œuvre impressionnante mais complexe de Mohammed Khaïr-Eddine. Même si les programmes scolaires lui préféreront ses compères Khatibi Abdelkébir ou Lâabi Abdellatif parce que plus « accessibles », son roman Il était une fois un vieux couple heureux est désormais étudié au baccalauréat et son succès résonne peu à peu sur tout le pays. Jusque dans les vallées reculées de Tafraout où, tout jeune, le petit Mohammed venait déverser aux bords des oasis ses premiers vers. D’abord en berbère, puis en arabe et très vite en langue française qui s’impose à lui, dit-il, comme elle s’est imposée à Aimé Césaire — ce qui n’a pas fait de lui un Français mais un francophone des plus habiles – ; il exprimera un véritable attachement à cette dernière qu’il qualifie d'impertinente. L’homme qui descend de ses montagnes entraîne le lecteur dés les premières phrases de ses romans, des premiers vers, tordant le cou à la langue de Molière, vers des contrées lointaines.
« Une des voix les plus fortes et les plus originales du Maghreb s’est tue » écrivait Tahar Benjelloun dans un article du journal Le Monde suite à la disparition de Mohamed Khaïr-Eddine, survenue le 18 novembre 1995, alors que les rues marocaines fêtaient une indépendance incertaine. Pas une minute de silence pour le talent d’écriture et de dénonciation de Khaïr-Eddine, inconnu et censuré jusqu’alors. Presque quinze ans ont passé déjà et trop rares sont les bibliothèques publiques au Maroc qui proposent dans leur fonds l’œuvre impressionnante mais complexe de Mohammed Khaïr-Eddine. Même si les programmes scolaires lui préféreront ses compères Khatibi Abdelkébir ou Lâabi Abdellatif parce que plus « accessibles », son roman Il était une fois un vieux couple heureux est désormais étudié au baccalauréat et son succès résonne peu à peu sur tout le pays. Jusque dans les vallées reculées de Tafraout où, tout jeune, le petit Mohammed venait déverser aux bords des oasis ses premiers vers. D’abord en berbère, puis en arabe et très vite en langue française qui s’impose à lui, dit-il, comme elle s’est imposée à Aimé Césaire — ce qui n’a pas fait de lui un Français mais un francophone des plus habiles – ; il exprimera un véritable attachement à cette dernière qu’il qualifie d'impertinente. L’homme qui descend de ses montagnes entraîne le lecteur dés les premières phrases de ses romans, des premiers vers, tordant le cou à la langue de Molière, vers des contrées lointaines.
Un séisme dans le cœur, celui de 1960, celui d’un premier roman Agadir qui a révélé une écriture sens dessus dessous, une structure de texte émiettée. Ses vers font du bruit, enfant rebelle, poète et éternel contestataire. « Quand on écrit un poème on s’y investit ! » dit-il. Écriture d’un exil volontaire, cet art munit le poète d’une véritable arme capable de faire face à l’agitation du pouvoir établi. De poèmes en récits, l’échange entre l’enfant terrible et son lecteur s’achève brusquement, après une cinquantaine de textes, romans et poésies, avec Il était une fois un vieux couple heureux. Heureux qui commence ou recommence ce fascinant voyage dans la belle langue de l’écrivain.
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